Alors qu’Haïti s’engage dans un processus historique de rédaction d’une nouvelle constitution, censée poser les bases d’un renouveau démocratique et institutionnel, une controverse majeure émerge : l’exclusion apparente de la diaspora haïtienne de l’avant-projet de ce texte fondamental. À l’heure où la nation cherche à se réinventer, l’absence de cette communauté influente, pilier économique et culturel, dans les discussions suscite indignation et débat.
Une diaspora essentielle, mais écartée
La diaspora haïtienne, estimée à plus de 4 millions de personnes, principalement aux États-Unis, au Canada, en France et dans les Caraïbes, est un moteur vital pour Haïti. En 2024, les transferts d’argent de la diaspora ont atteint environ 4 milliards de dollars, représentant près de 25 % du PIB national, selon les données de la Banque mondiale. Au-delà de cette contribution financière, les Haïtiens de l’étranger apportent des compétences en droit, gouvernance et innovation, forgées dans des contextes internationaux. Pourtant, dans le cadre de l’avant-projet de la constitution 2025, initié par un comité désigné par les autorités haïtiennes, la diaspora semble reléguée au second plan.
Des leaders communautaires à Miami, New York et Montréal ont dénoncé un manque criant de consultation. « Nous n’avons reçu aucune invitation officielle pour participer, pas même un courriel », s’indigne Marie-Louise Jean, présidente d’une association haïtienne basée à Brooklyn. Cette exclusion est d’autant plus mal perçue que la diaspora a toujours répondu présente lors des crises majeures, comme le séisme de 2010 ou les récents troubles politiques. Pour beaucoup, cette marginalisation ravive une vieille méfiance envers les Haïtiens de l’étranger, parfois accusés d’être déconnectés des réalités du pays.
Un processus critiqué pour son manque d’inclusivité
L’avant-projet de la constitution 2025 ambitionne de répondre aux maux structurels d’Haïti : instabilité politique, centralisation excessive et corruption endémique. Mais en l’absence d’une participation large, notamment de la diaspora, sa légitimité est remise en question. Selon des sources proches du comité constitutionnel, les consultations ont principalement impliqué des acteurs locaux – politiciens, universitaires et organisations de la société civile basées en Haïti. Les contraintes logistiques et financières sont souvent invoquées pour justifier l’absence de la diaspora. « Organiser des consultations à l’échelle mondiale est un défi immense », a déclaré un membre du comité sous couvert d’anonymat.
Cependant, ces arguments peinent à convaincre. « À l’ère du numérique, il est incompréhensible qu’aucune plateforme en ligne n’ait été mise en place pour recueillir nos idées », rétorque Jean-Philippe Dubois, un avocat haïtiano-canadien. Les critiques pointent également une forme de conservatisme politique : certains acteurs locaux craignent que la diaspora, influencée par des modèles étrangers, ne pousse pour des réformes jugées trop audacieuses, comme une décentralisation radicale ou une réforme du système judiciaire.
Une fracture nationale à l’heure de l’unité
Cette exclusion soulève une question fondamentale : qui la constitution 2025 est-elle censée représenter ? Pour les défenseurs de l’inclusion, ignorer la diaspora revient à amputer la nation d’une partie de son identité. « Nous sommes Haïtiens, peu importe où nous vivons. Nos cœurs et nos ressources sont avec Haïti », affirme Rose Myrtil, une entrepreneuse basée à Paris. La diaspora plaide pour une reconnaissance constitutionnelle de son rôle, notamment à travers des mesures comme le droit de vote pour les Haïtiens de l’étranger ou une clarification du statut de la double nationalité, des sujets qui restent tabous dans le débat actuel.
Des propositions concrètes émergent pour combler ce fossé. Des organisations de la diaspora appellent à la création de forums virtuels ou de comités consultatifs transnationaux pour intégrer leurs perspectives. D’autres suggèrent que le gouvernement s’appuie sur les ambassades et consulats haïtiens pour organiser des consultations régionales. « Ce n’est pas une question de ressources, mais de volonté politique », insiste Myrtil.
Un enjeu pour l’avenir d’Haïti
L’exclusion de la diaspora haïtienne de l’avant-projet de la constitution 2025 risque de compromettre l’objectif même de ce processus : bâtir une nation unie et résiliente. En marginalisant une communauté qui contribue massivement à la survie et au rayonnement d’Haïti, les autorités pourraient non seulement fragiliser la légitimité du texte final, mais aussi creuser un fossé durable entre Haïti et ses citoyens à l’étranger.
Alors que les discussions sur l’avant-projet se poursuivent, le temps presse pour rectifier le tir. Une constitution véritablement inclusive devra refléter les aspirations de tous les Haïtiens, qu’ils vivent à Port-au-Prince, à Cap-Haïtien ou à des milliers de kilomètres. En intégrant la diaspora, Haïti pourrait non seulement renforcer son projet constitutionnel, mais aussi envoyer un signal fort : celui d’une nation prête à embrasser toutes ses forces vives pour construire un avenir meilleur.
Quand la diaspora haïtienne est exclue de l’avant-projet de la nouvelle constitution 2025
