L’arrestation de personnalités impliquées dans des actes de corruption est souvent saluée comme une victoire dans la lutte contre l’impunité en Haïti. Chaque interpellation, chaque mise en accusation est perçue comme un pas vers la restauration de l’État de droit. Pourtant, une question lourde de sens persiste : à quoi servent ces arrestations si ceux qui corrompent ne purgent jamais leur peine ?
Cette interrogation, amère mais légitime, résume bien le malaise d’un pays où les institutions judiciaires sont souvent faibles, politisées ou corrompues elles-mêmes. L’arrestation d’un corrupteur n’est que le début d’un long processus, qui devrait logiquement se solder par un procès équitable, une condamnation claire, puis l’exécution de la peine. En Haïti, ce chemin est trop souvent interrompu, saboté ou vidé de son sens.
On voit régulièrement des cas où des individus arrêtés pour détournement de fonds publics, pots-de-vin ou enrichissement illicite sont rapidement libérés, faute de preuves rassemblées à temps, d’enquête menée en profondeur ou de volonté politique réelle. Parfois, l’opinion publique est mobilisée, la presse enquête, mais la justice, elle, reste muette ou paralysée. D’autres fois encore, l’arrestation n’est qu’un instrument de règlement de comptes entre clans politiques, et le dossier est refermé sitôt que le rapport de force s’inverse.
Ce cycle d’arrestations sans conséquence nourrit un cynisme dangereux. Il détruit ce qui reste de confiance entre la population et ses institutions. Il banalise la corruption et envoie un message clair : voler l’État est peut-être risqué, mais jamais puni.
Or, sans justice, sans peine, il n’y a pas d’exemple. Il n’y a pas de dissuasion. Il n’y a pas de changement durable.
Si Haïti veut sortir du cercle vicieux de la corruption, il est impératif de passer de la symbolique à l’efficacité. Cela signifie renforcer les mécanismes d’enquête, garantir l’indépendance des juges, protéger les lanceurs d’alerte, et surtout, aller jusqu’au bout du processus judiciaire. Une justice qui arrête mais qui n’emprisonne pas, qui juge mais n’applique pas ses sentences, n’est qu’un théâtre. Et le peuple haïtien mérite mieux que des spectacles.
La lutte contre la corruption ne sera pas gagnée par des coups de filet isolés, mais par une justice cohérente, constante et crédible. Il est temps que la peur change de camp : que ce ne soient plus les honnêtes qui craignent la loi, mais les corrompus qui tremblent à l’idée qu’elle s’applique enfin.
