Dans un contexte de crise sécuritaire sans précédent, le gouvernement haïtien a pris une décision controversée en signant un contrat avec la société militaire privée américaine Blackwater, dirigée par le mercenaire Erik Prince, pour combattre l’influence croissante des gangs armés qui contrôlent une grande partie de la capitale, Port-au-Prince. Cette annonce, relayée par le *New York Times* et confirmée par des sources locales, intervient alors que le pays des Caraïbes s’enfonce dans une spirale de violence, avec des gangs contrôlant jusqu’à 90 % de la capitale en 2023, selon des rapports de l’ONU.
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, Haïti traverse une crise politique, économique et sécuritaire aggravée par la montée en puissance des gangs, tels que la coalition *Vivre Ensemble* dirigée par Jimmy Chérizier, alias « Barbecue ». Ces groupes criminels, lourdement armés grâce au trafic d’armes en provenance des États-Unis, ont multiplié les attaques contre des infrastructures stratégiques, libérant des milliers de détenus et paralysant l’aéroport international de Port-au-Prince. Face à l’impuissance de la police nationale haïtienne, débordée et sous-équipée, et à l’échec relatif de la mission multinationale dirigée par le Kenya, le gouvernement haïtien semble prêt à tout pour rétablir l’ordre.
Une décision controversée
Le recours à Blackwater, une entreprise tristement célèbre pour ses exactions en Irak, notamment le massacre de 17 civils à Bagdad en 2007, suscite de vives inquiétudes. Fondée par Erik Prince, un ancien militaire ultraconservateur et proche de l’ex-président américain Donald Trump, Blackwater (rebaptisée Xe, puis Academi) a une longue histoire de controverses liées à des violations des droits humains et à des accusations de corruption. En Haïti, où la population est déjà méfiante envers les interventions étrangères, cette initiative pourrait exacerber les tensions.
Selon des informations circulant sur les réseaux sociaux, le contrat prévoirait le déploiement d’une force de 150 mercenaires, principalement des vétérans, équipés de drones et d’armements sophistiqués, dès l’été 2025. Cette force aurait pour mission de mener des opérations ciblées contre les chefs de gangs, comme Chérizier, et de sécuriser des zones stratégiques. Cependant, ni le gouvernement haïtien ni Blackwater n’ont officiellement détaillé les termes de l’accord, alimentant les spéculations sur son coût et son ampleur.
Une situation désespérée
La décision de faire appel à Blackwater intervient après l’échec de plusieurs initiatives internationales. La mission multinationale de soutien à la sécurité (MMAS), autorisée par l’ONU en octobre 2023 et dirigée par le Kenya, n’a pas réussi à enrayer la progression des gangs en raison de problèmes logistiques, de manque de financement et d’équipements insuffisants. En février 2025, les États-Unis ont même gelé leur contribution financière à cette mission, estimée à 13,3 millions de dollars, laissant Haïti dans une position encore plus précaire.
Les gangs, quant à eux, continuent de semer la terreur. Entre janvier et septembre 2024, plus de 5 600 personnes ont été tuées, et plus d’un million de personnes ont été déplacées à cause de la violence. À Cité Soleil, un bidonville de Port-au-Prince, un massacre en décembre 2024 a coûté la vie à 207 personnes, accusées à tort par un chef de gang de pratiques vaudou. Face à cette anarchie, le ministre haïtien de la Défense, Jean-Michel Moïse, a plaidé pour un soutien régional accru et un assouplissement des restrictions sur les ventes d’armes à l’État haïtien, arguant que les gangs disposent d’un arsenal supérieur à celui des forces de l’ordre
Réactions et incertitudes
L’annonce de l’implication de Blackwater a provoqué des réactions mitigées. Sur les réseaux sociaux, certains Haïtiens expriment leur désespoir face à l’inaction internationale, voyant en cette mesure une tentative, bien que risquée, de reprendre le contrôle. D’autres, en revanche, craignent que l’arrivée de mercenaires étrangers ne fasse qu’aggraver la situation, rappelant les interventions passées, comme celle des Casques bleus, marquées par des scandales et un impact limité.
Les experts s’inquiètent également des implications à long terme. « Le recours à une société comme Blackwater, avec son historique, risque de compliquer davantage la crise en Haïti, où la corruption et les collusions entre élites et groupes armés sont déjà un problème majeur », avertit Robert Muggah, expert en sécurité et auteur d’un rapport sur les marchés criminels haïtiens. De plus, l’absence d’un gouvernement légitime et stable – le Conseil présidentiel de transition étant lui-même fragilisé par des accusations de corruption – pourrait limiter l’efficacité de cette intervention.
Vers une nouvelle ère de mercenariat ?
En signant ce contrat, Haïti s’engage sur un terrain glissant, où la privatisation de la sécurité pourrait redéfinir les dynamiques du conflit. Si certains y voient une lueur d’espoir pour rétablir l’ordre, d’autres craignent que Blackwater ne devienne un acteur de plus dans un pays déjà fracturé, où la violence, la pauvreté et l’instabilité continuent de faire des ravages. Alors que le déploiement des forces de Blackwater se profile, le peuple haïtien attend, entre espoir et appréhension, de voir si cette initiative marquera un tournant ou ajoutera un nouveau chapitre à la tragédie nationale.
Sources : The New York Times, ONU Info, BBC News Afrique, Le Monde, Le Figaro
