Ce qui avait commencé comme une alliance improbable entre deux figures titanesques de la scène mondiale, le président américain Donald Trump et le milliardaire Elon Musk, s’est transformé en un affrontement public d’une rare violence. Leur « bromance » politique, scellée lors de la campagne présidentielle de 2024, a volé en éclats cette semaine, marquée par des insultes, des menaces et des accusations graves échangées sur les réseaux sociaux. Ce duel, digne d’un scénario hollywoodien, pourrait non seulement bouleverser l’équilibre politique américain, mais aussi avoir des répercussions économiques et stratégiques majeures.
Une alliance autrefois indestructible
L’histoire entre Trump et Musk semblait écrite pour durer. En juillet 2024, après une tentative d’assassinat contre Trump lors d’un meeting en Pennsylvanie, Musk, patron de Tesla, SpaceX et X, annonce son soutien au candidat républicain. Ce ralliement surprend, tant les deux hommes semblaient évoluer dans des sphères opposées : l’un, incarnation du populisme MAGA, l’autre, figure libertarienne de la Silicon Valley. Pourtant, Musk met tout son poids financier et médiatique dans la campagne, finançant généreusement Trump et utilisant la plateforme X pour amplifier son message. Certains vont jusqu’à qualifier Musk de « troisième homme » du ticket républicain, aux côtés de Trump et de son colistier JD Vance.
Après la victoire de Trump en novembre 2024, Musk intègre l’administration en tant que coresponsable du Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), chargé de réduire drastiquement les dépenses fédérales. Pendant des mois, les deux hommes affichent une complicité publique, apparaissant ensemble à la Maison Blanche, lors de meetings ou même à des événements privés, comme un match de MMA en novembre 2024. Mais sous la surface, des tensions commencent à poindre.
Le catalyseur : un désaccord budgétaire
Le point de rupture survient autour du projet de loi budgétaire de Trump, surnommé la « Big Beautiful Bill ». Ce texte, adopté par la Chambre des représentants fin mai 2025 et en attente d’examen au Sénat, prévoit des dépenses massives, ce que Musk, fervent défenseur de la rigueur budgétaire, qualifie d’« abomination répugnante ». Fraîchement libéré de ses fonctions au DOGE le 30 mai, Musk ne se sent plus tenu par la loyauté envers Trump et dénonce publiquement le projet, accusant le président de vouloir « mettre l’Amérique en faillite ».
Trump, piqué au vif, réplique depuis le Bureau ovale lors d’une conférence de presse le 5 juin, exprimant sa « déception » envers son ancien allié. Il va plus loin sur son réseau Truth Social, qualifiant Musk de « fou » et menaçant de couper les subventions et contrats fédéraux dont bénéficient Tesla et SpaceX. Cette menace touche directement les intérêts de Musk, dont les entreprises dépendent largement des fonds publics, notamment pour les missions spatiales de la NASA.
Une escalade verbale et des accusations explosives
La réponse de Musk ne se fait pas attendre. Sur X, il contre-attaque avec une série de messages incendiaires, qualifiant les propos de Trump de « n’importe quoi » et de « faux ». Il affirme que Trump aurait « perdu l’élection » sans son soutien financier et médiatique en 2024, l’accusant d’« ingratitude ». Mais l’escalade atteint son paroxysme lorsque Musk lâche une accusation choc : il prétend, sans preuve, que Trump figure dans les dossiers non publiés de l’affaire Jeffrey Epstein, un scandale de trafic sexuel qui continue de hanter la politique américaine. Cette allégation, bien que non étayée, relance les spéculations autour des liens entre Trump et Epstein, dont le nom a déjà été mentionné dans des documents judiciaires en 2024 sans qu’aucune preuve d’actes répréhensibles ne soit établie.
Trump, de son côté, minimise l’incident dans une interview à Politico, déclarant « Oh, ça va », tout en laissant entendre que Musk souffre d’un « syndrome de dérangement anti-Trump ». Cependant, ses proches, comme la porte-parole de la Maison Blanche Karoline Leavitt, tentent de calmer le jeu, affirmant que le président reste concentré sur son agenda. Un appel téléphonique entre les deux hommes, prévu le 6 juin, semble avoir été annulé, signe que la réconciliation est loin d’être acquise.
Conséquences économiques et politiques
Ce clash a des répercussions immédiates. Le 5 juin, l’action Tesla chute de 14 %, effaçant 152 milliards de dollars de capitalisation boursière et faisant reculer la fortune personnelle de Musk de 34 milliards de dollars. SpaceX, dont le vaisseau Dragon est crucial pour la NASA, est également menacé : Musk annonce brièvement l’arrêt de ce programme, avant de tempérer ses propos face aux réactions. Une rupture définitive pourrait mettre en péril les ambitions spatiales américaines, SpaceX représentant 95 % des missions orbitales nationales en 2024, notamment pour la sécurité nationale.
Politiquement, ce divorce fragilise la coalition républicaine. Musk, désormais isolé, évoque la création d’un nouveau parti politique et pourrait financer des candidats anti-Trump lors des prochaines primaires. Cette menace inquiète l’aile MAGA, qui voit en Musk un adversaire redoutable grâce à sa fortune et à son contrôle de X. À l’inverse, certains électeurs républicains, comme ceux interrogés en Géorgie, relativisent : « Ce sont deux egos énormes. Ils se disputeront, puis se réconcilieront », estime Big Mike, un vétéran républicain.
Une fracture idéologique plus profonde
Au-delà des ego, ce duel révèle une fracture idéologique. Trump incarne le protectionnisme et le populisme MAGA, tandis que Musk défend un libertarianisme pro-libre-échange, hostile aux dépenses publiques excessives. Leur alliance, scellée par une convergence temporaire contre le « wokisme » et les Démocrates, n’a pas résisté à leurs visions divergentes. Ludivine Gilli, spécialiste des États-Unis, souligne que ce divorce était « clairement inévitable » en raison de leurs divergences sur des questions comme l’immigration ou l’économie.
Vers une réconciliation ou une guerre ouverte ?
Pour l’heure, la Maison Blanche tente de minimiser l’ampleur de la crise, mais les observateurs s’accordent à dire que le point de non-retour semble atteint. Musk, avec sa puissance financière et médiatique, pourrait devenir un opposant redoutable à Trump, tandis que ce dernier dispose du levier de l’État pour frapper les entreprises de son ancien allié. Ce duel entre « l’homme le plus puissant » et « l’homme le plus riche » du monde promet de secouer l’Amérique et au-delà, dans un spectacle où les egos rivalisent avec les enjeux stratégiques.
Alors que le Sénat examine le projet de loi budgétaire, tous les regards sont tournés vers ces deux géants. Leur prochain coup pourrait redéfinir non seulement leur relation, mais aussi le paysage politique et économique des États-Unis pour les années à venir.