Laurent Saint-Cyr, homme d’affaires connu et figure du secteur privé, a pris ce jeudi la tête du Conseil présidentiel de transition (CPT) d’Haïti, devenant le quatrième président tournant en un peu plus d’un an. Dans son discours, prononcé pour la première fois entièrement en créole, il a tenté de rallier les Haïtiens autour d’un message d’espoir et d’action. Mais dans un pays en crise, entre insécurité galopante et méfiance envers le CPT, ses paroles soulèvent autant d’attentes que de doutes.
Un discours pour rassembler un pays divisé
Dès le début, Saint-Cyr a insisté sur l’unité nationale, un thème classique mais crucial alors qu’Haïti est déchirée par la violence. « L’insécurité, c’est le plus gros obstacle à notre avenir », a-t-il lancé. Il a promis de s’attaquer aux gangs, qui contrôlent environ 80 % de la capitale et causent des ravages, avec des centaines de morts en 2024. Pour lui, la sécurité est la priorité absolue.
Il a aussi beaucoup parlé du rôle du secteur privé, dont il est issu. Ancien patron de la Chambre de commerce américaine en Haïti, il veut montrer que les entrepreneurs peuvent aider à sortir le pays de l’ornière. Il a appelé à « briser les clichés » sur le secteur privé, souvent accusé de liens troubles avec les gangs, en promettant des actions concrètes pour la paix et le développement économique. Mais ces promesses risquent d’être mal reçues dans un climat où la population se méfie des élites.
Des priorités claires, mais un défi immense
Saint-Cyr a structuré son discours autour de trois axes : la sécurité, l’organisation d’élections et la relance de l’économie. Il veut travailler avec le Premier ministre et les autres membres du CPT pour préparer des élections libres d’ici février 2026, date prévue pour l’arrivée d’un nouveau président élu. Mais beaucoup doutent que le CPT, critiqué pour ses divisions internes et son manque de résultats depuis sa création en avril 2024, puisse tenir cet engagement.
Parler en créole, c’est un choix fort. Ça montre qu’il veut parler directement aux Haïtiens, loin du langage élitiste des anciens dirigeants. Mais ce geste ne suffit pas à effacer les critiques sur son passé. Quand il était au Haut Conseil de la Transition (HCT), on l’a souvent décrit comme trop discret, presque absent des grandes décisions.
Un appel à l’aide internationale
Saint-Cyr a aussi beaucoup insisté sur le besoin d’un soutien étranger, notamment via la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMSS). Lors de la conférence de la CARICOM en juillet 2025, il avait déjà plaidé pour plus d’aide aux forces haïtiennes. Dans son discours, il a répété que la coopération régionale et internationale est essentielle pour « offrir un avenir digne » aux Haïtiens.
Une présidence sous pression
Le discours de Saint-Cyr a beau être ambitieux, il arrive dans un contexte difficile. Son passé discret et ses nombreux voyages à l’étranger, pour des conférences comme le Forum d’Oslo ou des réunions de la CARICOM, lui valent des critiques. On l’accuse d’être déconnecté des réalités d’Haïti, où la crise humanitaire s’aggrave, avec des milliers de déplacés et une violence qui touche même les enfants, comme l’a souligné l’UNICEF.
Un autre point sensible, c’est sa possible entente avec Didier Fils-Aimé, un autre homme d’affaires au sein du CPT. Ce duo inquiète, car le secteur privé est souvent pointé du doigt pour ses liens présumés avec les gangs, comme dans l’affaire Réginald Boulos, arrêté récemment aux États-Unis.
Un pari risqué pour redonner espoir
En résumé, Laurent Saint-Cyr a livré un discours optimiste, axé sur l’unité, la sécurité et l’économie, avec un choix symbolique de parler en créole pour toucher le peuple. Mais il hérite d’un pays en lambeaux et d’un CPT critiqué de toutes parts. Pour réussir, il devra transformer ses paroles en actes, regagner la confiance d’une population à bout et surmonter les tensions au sein du conseil. Avec seulement cinq mois devant lui, le temps presse. Son mandat dira s’il peut briser le cycle des promesses non tenues ou s’il sera juste un autre nom dans la longue liste des transitions ratées d’Haïti.